Polychromes

First square light_IMG_7223Depuis de nombreuses années, j’avais la tentation de travailler sur des séries de monochromes et c’est l’exposition rétrospective de Gerhard Richter au Centre Georges Pompidou qui a joué le rôle de déclencheur. Il y exposait un grand tableau intitulé « 1024 couleurs », qui, si j’ai bien compris, avait été largement réalisé par tirage aléatoire des 1024 monochromes constitutifs du tableau.
J’ai été frappé par le fait que ce tableau, pourtant monumental et spectaculaire, me laissait assez indifférent, comme s’il n’existait pas vraiment, comme si il était inhabité.

Alors, je me suis mis au travail….

Mon idée était de ne travailler que sur des couleurs pures, sorties du tube, ne les nuançant qu’avec du blanc pour obtenir les couleurs claires. Mon idée était aussi d’avancer en tirant les couleurs au hasard, puis de reprendre la main en intervenant d’une manière qui restait à découvrir et que je ne connaissais pas encore. J’ai donc commencé par peindre les carrés d’un échantillonnage d’une trentaine de couleurs pures en deux intensités et trois nuances plus claires, avec un blanc spécifique car certains blancs usuels, comme le blanc de titane ont une fâcheuse tendance à « tuer » les couleurs.

Et les débuts ont été très difficiles, j’ai passé des jours et des jours à essayer de résoudre deux conflits : le premier, c’est le conflit des couleurs pures qui se heurtent très vite dans une assonance illisible, sorte de « magma » sans intérêt, le deuxième c’est le conflit entre le hasard et l’intention artistique, qui durant tous ces premiers essais, arrivait trop tôt ou trop tard.

Le polychrome ci-dessus est le premier qui a fonctionné. 18 couleurs pures, ordonnancées « en tours » en conservant en ligne l’unité des dégradés. Et c’est en enlevant quelques carrés que le tableau s’est mis à vivre, car il avait trouvé son rythme, son dialogue intérieur…. Un monde s’était ouvert, j’étais très heureux, beaucoup de choses restaient à découvrir.
PageLines- HomePolychromes1.2et1.3tableauxlight.jpgAlors, j’ai décidé de travailler sur des séries plus longues, en diversifiant un peu les formats, pour pouvoir mener des recherches sur plusieurs axes. J’ai sélectionné dans mon nuancier 90 couleurs pures,(toujours 5 nuances par couleur : deux en intensité, et trois par adjonction de blanc). Pour préparer mes carrés, mes rectangles, il me fallait une journée par couleur. Ainsi j’avais des journées bleu de cobalt, des journées indigo, des journées terre de sienne, vermillon ou jaune de Naples… Et je progressais car je savais que, quelle que soit l’issue, ce travail méditatif sur la couleur allait habiter l’œuvre comme il m’avait habité. Alors a commencé le travail de composition. Là aussi découverte, c’était un travail extrêmement proche de la composition musicale. Voulant demeurer dans une grande économie de moyens, je me suis limité à des formes verticales (mes tours) ou à des formes horizontales (mes vaisseaux optiques). Et miracle !! le jeu du nombre des couleurs entrait dans un dialogue extrêmement fécond et mystérieux avec leur assonance. Et je me trouvais écrire de la peinture, comme Varese, Boulez ou d’autres au début du 20ème siècle se sont mis à explorer la musique atonale. Ma première série de 90 couleurs, organisée en triptyque était mise au monde. Organisée en tours elle laissait à voir l’architecture d’une ville rêvée loin dans le futur. Organisée horizontalement elle laissait à voir des vaisseaux à propulsion optique, vaisseaux à explorer la lumière et le temps.
La deuxième série a été créée dans la foulée, quatre tours de même format pouvant être organisées en diptyque ou en triptyque. La troisième série est venue ensuite, des carrés eux-même organisés en modules carrés. Puis la quatrième série s’avance un peu plus dans l’assonance, certains rectangles de couleurs se détachent de leur dégradé d’origine et vont ailleurs, capter, déstabiliser le regard :

Diptyque article Polychromes série 3.2  lightIl reste beaucoup à chercher et à trouver dans ce travail. Actuellement, j’explore des mondes plus hétérogènes avec des compositions de tours incluant des éléments graphiques, fragments de dessins expressionnistes, ou d’origine photographique comme par exemple dans le projet ci dessous :

Polychromes Compo 1_IMG_6730_lightCe travail présente un autre intérêt que je n’avais pas cerné au premier abord : l’œuvre (une fois référencés les positions et les ordres des couleurs) est réplicable. En matière de format, bien sûr, mais aussi en matière de mise en jeu dans l’univers plastique. Ce sont des œuvres qui, un jour, bientôt peut-être, trouveront une destinée dans des projets d’architecture, de sculpture.
Aujourd’hui, ce sont des prototypes qui viennent d’ailleurs, tombés de je ne sais où. Mais ils sont déjà demain.